Dans le milieu rural ivoirien, les femmes dépendent des forêts pour la subsistance et la santé de leurs familles. Néanmoins, malgré l’existence de lois reconnaissant l’égalité des sexes, elles ne sont pas impliquées dans les décisions qui touchent aux forêts et n’ont qu’un accès très limité à la propriété de la terre et aux bénéfices économiques que celle-ci rapporte.
Pour le commandant Bernadette N’Guessan, assistante technique au secrétariat technique permanent FLEGT du ministère des Eaux et Forêts (MINEF) et coordinatrice du projet « Femmes et Forêts », la participation féminine dans le secteur forestier ivoirien reste encore un point à améliorer. Ce manque de représentation répond « à un blocage au niveau social et culturel, plutôt qu’à un blocage aux niveaux institutionnel ou administratif, et le défi majeur c’est d’enlever des esprits que les questions forestières sont réservées aux hommes ».

Depuis 2018, le MINEF s’est engagé à prendre des mesures pour intégrer les femmes de manière effective dans la gestion des ressources forestières du pays. Ces mesures passent par l’inclusion de stratégies de genre dans les politiques de gestion des ressources naturelles, ainsi que par la mise en œuvre de programmes de renforcement des capacités des femmes pour augmenter leur participation dans la gouvernance et l’économie forestières. Entre autres, elles ont déjà permis d’augmenter la proportion de femmes occupant des rôles de responsabilité au sein du ministère.
Cette plus grande prise en compte du genre est également manifeste dans les négociations d’un Accord de Partenariat Volontaire (APV) FLEGT avec l’Union européenne (UE), qui vise à améliorer la gouvernance forestière ivoirienne et à assurer que le bois et ses produits dérivés exportés vers l’UE sont légaux, ainsi que dans les premiers résultats de ce processus.

Bien que la Côte d’Ivoire ait encore de nombreux défis à relever pour atteindre l’égalité entre les sexes, l’introduction du genre dans les discussions politiques sur la gouvernance forestière, et en particulier dans les négociations de l’APV, est un pas très important.
Pour le commandant Bernadette N’Guessan, ces changements sont clés, car « ils améliorent la compréhension des parties prenantes sur les aspects de genre, ce qui n’est pas toujours évident, et les femmes sont aujourd’hui mieux représentées dans les négociations de l’APV ».
Néanmoins, cette tendance n’est pas encore reflétée dans le milieu rural, où « les femmes sont généralement exclues des décisions qui concernent la gestion des ressources naturelles », nuance Ahoussi Delphine, présidente de MALEBI, une association de femmes du milieu rural qui travaille dans la production de biomasse durable.
Dans sa stratégie des partenariats internationaux, l’UE souhaite renforcer le rôle des femmes dans la gestion des ressources naturelles. La prise en compte du genre à travers les négociations de l’APV est par conséquent une priorité pour les deux parties.
C’est pourquoi, pour Chantal Marijnissen, négociatrice en chef de l’APV de la Commission européenne, souligne: « Je suis très heureuse que la Côte d'Ivoire ait suggéré d'inclure dans nos négociations de l’Accord la reconnaissance du droit des femmes à jouer un rôle dans la gouvernance forestière, et à être incluses dans le partage des bénéfices économiques obtenus des forêts ».
Pour la première fois, le genre est inclus de façon explicite dans la définition de la légalité d’un APV. Celle-ci établit les exigences réglementaires devant être remplies pour assurer la conformité légale du bois. L’élaboration de cette définition a permis, par exemple, « d’identifier et d’inclure dans l’Accord des mesures pour assurer que le secteur privé forestier respecte les congés de maternité des travailleuses », explique le commandant Bernadette N’Guessan.
Je suis très heureuse que la Côte d'Ivoire ait suggéré d'inclure dans nos négociations de l’Accord la reconnaissance du droit des femmes à jouer un rôle dans la gouvernance forestière, et à être incluses dans le partage des bénéfices économiques obtenus des forêts.
Les négociations de l’APV ont aussi joué un rôle clé dans les réformes légales récentes du secteur forestier du pays. Ces réformes, qui continueront au-delà de la signature de l’Accord, pourraient constituer une opportunité pour faciliter l’accès des femmes à la propriété des ressources de la forêt et à l’utilisation des terres, ce qui contribuerait à une distribution plus équilibrée des bénéfices économiques tirés des activités forestières. C’est d’autant plus important que « ces bénéfices contribueraient à générer des opportunités de développement socioéconomique pour les femmes rurales », souligne Ahoussi Delphine.

Dans le cadre des négociations APV, certaines initiatives financées par l’UE (notamment à travers le Programme FAO-UE FLEGT) ont permis de mettre en avant des approches innovantes en ce qui concerne l’inclusion des femmes dans la gestion forestière.
Une de ces initiatives est le projet Femmes et Forêts, mis en œuvre par l’association MALEBI. Le projet a permis de donner plus de visibilité au potentiel des femmes rurales dans la gestion des ressources forestières et agricoles. « Malgré sa courte durée, souligne Ahoussi Delphine, le projet a démontré qu’une association de femmes peut parfaitement faire du reboisement en agroforesterie, produire du charbon de manière durable et gérer une forêt ».
À la lumière de ces résultats, Denisa Salkova, point focal de la Commission européenne de cet APV, considère que l’APV constitue une grande opportunité pour les bailleurs « de soutenir les associations de femmes pour renforcer leur position vis-à-vis de l’administration, les aider à trouver leur place dans la gouvernance forestière et diminuer leur dépendance et leur vulnérabilité. »
Les progrès sont sans doute prometteurs, bien que le défi reste majeur et incontournable pour la Côte d’Ivoire et ses partenaires, car, comme dit Ahoussi Delphine, « si on parle de développement durable, on ne peut pas laisser les femmes en dehors des décisions qui concernent la gestion des forêts ; c’est simple : si on veut y réussir, on a besoin des femmes. »