En République Centrafricaine, les conflits ont forcé des millions de personne à se déplacer et fuir les violences. Un grand nombre de déplacés reviennent traumatisés et le pays n’a pas assez de personnel formé pour les accompagner.
Le projet « Bon retour à la maison – Doni Kiringo na kodoro » financé par le Fonds Bêkou – fonds multibailleurs en faveur de la République Centrafricaine - est mis en œuvre par le consortium Acted/Impact/DRC et Action contre la Faim (ACF). Il vise à soutenir et pérenniser les dynamiques de retours spontanés à travers des activités de protection, de cohésion sociale et de renforcement des moyens de subsistance des personnes en situation de retour.
ACF met en œuvre le volet santé mentale du projet. Dans ce cadre, l’association prend en charge, dans les quartiers de retour, les personnes souffrant de traumatisme, ou en état d’extrême souffrance psychologique.
Environ 60% de la population de Bangui et de sa périphérie, présentent des symptômes de traumatisme et nécessitent un suivi psycho-social adapté et immédiat. Certaines études révèlent une plus grande vulnérabilité chez les femmes pour qui le risque de développer un trouble post traumatique serait 4,39 fois plus élevé que pour un homme.
Les personnes déplacées ont particulièrement besoin de soutien. Le déplacement forcé induit chez l’individu une rupture et un choc pouvant avoir des conséquences plus ou moins lourdes sur son psychisme.
Afin de soutenir les personnes victimes de traumatisme, Action contre la Faim a renforcé les capacités des intervenants au sein des communautés. Ainsi, 25 agents de santé et 76 membres clefs de la communauté ont été formés sur les « Premiers Secours Psychologiques » (PSP). De plus, 4 étudiants en psychologie de l’Université de Bangui, parmi lesquels une femme, ont suivi un stage de 2 mois (en binôme).
Plus de 1350 personnes détectées en situation de détresse ont bénéficié de séances de psychoéducation. A l’issue de la séance de psychoéducation, les patients nécessitant un soutien psychologique ont été invités à participer au protocole de prise en charge psychologique groupale ou individuel. Le protocole choisi est un protocole élaboré par l’Organisation Mondiale de la Santé nommé « Gestion de Problème + ».
Grâce au projet, 884 personnes ont bénéficié de ce protocole constitué de 5 séances distinctes devant s’échelonner sur 5 semaines ; chaque séance durant entre une heure et une heure et demie. Les échelles de bien-être* passées en séance 1 sont repassées en séance 5 afin de mesurer l’effet de la prise en charge sur le bien-être des bénéficiaires.
Une patiente qui a vécu un événement traumatique en 2014 témoigne des résultats de sa prise en charge groupale. Depuis le décès de son mari, lynché à mort alors qu’elle était réfugiée au Tchad avec ses 5 enfants, elle était traumatisée. Le visionnage à la télévision de la scène extrêmement violente du lynchage avait rajouté au traumatisme subit : « Avant, je passais la journée seule dans la maison avec les enfants, sans m’habiller, ni me tresser les cheveux, sans savoir quoi faire. C’était difficile. En l’espace d’une journée je pensais à me suicider, à partir et voyager ou bien à abandonner mes enfants. Mais à présent ma situation s’est améliorée grâce à ce groupe. Je n’ai plus de maux de tête intenses, je peux à nouveau dormir. Le matin j’ai la force et l’envie de m’habiller, me tresser et faire mes activités de beignet, ainsi que de socialiser avec d’autres personnes. »
Nadège Wolikete, 25 ans, mère de deux enfants a également bénéficié des activités d’Action Contre la Faim. Elle a assisté à une activité psychosociale, pendant laquelle elle a fait de la relaxation, et réfléchit aux symptômes du trauma : « Les images m’ont beaucoup plu. Je ne pensais pas que ces choses-là faisaient partie de moi, mais quand j’ai vu celle où un bruit fait peur, et l’homme qui marche seul dans la ville vide, j’ai compris. C’est à cause des événements, quand j’ai fui au site aéroport. Depuis que je suis revenue, je ne me sens toujours pas en sécurité. J’ai toujours peur que quelque chose arrive du jour au lendemain. »
Elle dit mal dormir la nuit, par inquiétude. Elle reste toujours sur le qui-vive, prête à fuir en vitesse. Des cauchemars récurrents viennent troubler son sommeil : « j’avais une voisine que je côtoyais toujours dans le quartier. J’étais avec elle lors de l’attaque dans mon quartier. J’insistais pour qu’on parte mais elle a voulu emballer quelques biens. J’ai couru. J’ai entendu deux coups de feu et je savais que c’était elle. Sur le site, une fois, j’étais partie avec une voisine chercher à manger. On s’est fait pourchasser. J’ai sauté dans le canal, mais de loin, je voyais tout pendant qu’on l’égorgeait. Quand je pense à ça je me réveille subitement, avec de la frayeur en moi. Ça me prend du temps pour redevenir normale. »
Crépin Senga (en rouge sur la photo), 38 ans, père de 4 enfants, dont l’un est mort récemment apprécie lui aussi le soutien prodigué, « Les dessins, c’est ce qui s’est passé ici, quand toutes les maisons sont parties en fumée et qu’on a fui à l’aéroport. Ça m’a fait comprendre que j’ai des problèmes. » Avant les événements de 2013, il avait fait des réserves de denrées à vendre pour 6 mois. Il a tout perdu d’un coup. Il ne lui reste qu’un petit commerce d’alimentation, l’ombre de ce qu’il possédait avant. Il dit avoir des difficultés à nourrir sa famille. Il a récemment perdu une de ses filles à cause d’une crise de paludisme. « Le soir, je rêve à elle, elle est devant moi. Et quand je me réveille elle n’est plus là, je n’arrive plus à dormir. Peut-être avec la respiration ça va m’aider. J’ai ressenti d’abord de la douleur, puis de la santé. Je vais partager ça avec ma famille. »
Ainsi, en permettant aux personnes de mieux vivre leur retour et en participant à la réduction des tensions entre les différentes communautés, le projet contribue directement au Plan National de Relèvement et de Consolidation de la Paix 2017 – 2023. Grâce à ce projet et aux autres projets financés par le Fonds Bêkou, près de 39 500 réfugiés, déplacés et personnes des communautés hôtes ont été pris en charge depuis 2014.
CHIFFRES CLES
- 25 agents de santé et 76 membres clefs de la communauté ont été formés sur les « Premiers Secours Psychologiques » (PSP) ;
- 4 étudiants en psychologie de l’Université de Bangui renforcés à travers un stage ;
- Séances de psychoéducation pour 1,354 personnes bénéficiaires ;
- 884 personnes ont bénéficié du protocole « gestion des problèmes plus » (PM+).