La gestion durable des forêts est l’art de concilier ce que les usagers souhaitent obtenir de la forêt, avec ce que la forêt peut produire durablement. Ce fragile équilibre requiert un cadre légal qui conjugue développement économique, préservation des ressources naturelles et bienêtre des populations. En Côte d’Ivoire, cela n’a pas toujours été le cas, le pays ayant perdu plus de 80 % de son couvert forestier original. Néanmoins, au cours des dernières années, d’importantes réformes légales ont été mises en place pour transformer la manière dont le secteur forestier est géré.
Ces réformes ont été catalysées par un accord bilatéral entre la Côte d’Ivoire et l’Union européenne (UE) portant sur la légalité du bois appelé Accord de partenariat volontaire (APV) sur l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux (FLEGT), et commencent à porter leurs fruits. Comme l’explique le Lieutenant-Colonel SYLLA Cheick Tidiane, Point focal de la Côte d’Ivoire pour cet accord, « depuis le début des négociations, un nouveau régime de propriété des forêts est en vigueur, les procédures d’exportation ont été clarifiées, le rôle de la société civile a été reconnu et réglementé, et il existe un contexte plus favorable à la participation des différents acteurs dans la mise en œuvre de la politique forestière ».
Une nouvelle ambition : reconstituer 20 % de couvert forestier

Entre 1960 et 1980, le secteur forestier était le troisième dans les exportations de la Côte d’Ivoire et un moteur important de la croissance économique. Toutefois, à cause du défrichement massif de la forêt ivoirienne au profit d’un développement rapide de la production agricole, l’industrie du bois a vu diminuer fortement son poids dans l’économie du pays. Néanmoins, le secteur forestier demeure essentiel non seulement pour des milliers de travailleurs dont leurs emplois en dépendent, mais aussi pour la lutte contre les changements climatiques, la perte de biodiversité et l’érosion des sols.
Jusqu’en 2014, la gestion des forêts ivoiriennes était fondée sur un Code forestier datant de 1965. Ce cadre juridique était axé sur une vision commerciale et extractive des ressources naturelles. De plus, il n’intégrait pas les multiples services environnementaux fournis par les forêts et n’encourageait pas le reboisement.
Au vu de ces défis, la Côte d’Ivoire a engagé en 2013 une série de réformes pour mettre à jour son cadre juridique et l’adapter au contexte actuel. Cette volonté politique s’est traduite par plusieurs réformes, dont l’adoption d’une nouvelle politique de préservation, réhabilitation et extension des forêts, qui vise à augmenter le taux de couverture forestière à 20 % à l’horizon 2030. À cet effet, un nouveau Code forestier a été promulgué en 2019.
Un accord de partenariat avec l’UE comme catalyseur de réformes

L’UE étant le marché de destination d’environ 50 % des exportations de produits bois ivoiriens, les deux parties ont initié en 2013 la négociation d’un accord commercial sur le bois, l’APV FLEGT. Cet accord vise à garantir la légalité dans l’ensemble de la filière bois-forêt, ce qui implique le respect des dispositions économiques, environnementales et sociales contemplées dans la législation ivoirienne. Ceci inclut non seulement l’exportation de bois et produits dérivés de la Côte d’Ivoire à l’UE, mais aussi l’exploitation forestière, la transformation et le transport du bois. Il vise également à améliorer la gouvernance forestière et à soutenir une gestion plus durable des forêts.
Comme l’explique le Lieutenant-Colonel SYLLA Cheick Tidiane, « À travers le processus APV, l’État ivoirien veut atteindre deux grands objectifs : accélérer la mise en œuvre d’un ensemble de réformes pour améliorer la gouvernance forestière au niveau national, et garantir la légalité et la traçabilité des bois qu’il exporte sur le marché de l’UE et sur d’autres marchés, y compris le national ».
Des réformes participatives

Lors des négociations de l’APV, toutes les parties prenantes doivent s’accorder sur les exigences légales qui doivent y être incluses : les types d’utilisation des terres, les différents aspects de la gestion des forêts, mais également les aspects sociaux et environnementaux. Initié en 2013, ce travail d’analyse du cadre légal a permis d’asseoir autour de la table les différents acteurs de la filière bois-forêt, y compris les ministères impliqués dans la gestion forestière, les organisations de la société civile et de la chefferie traditionnelle.
Comme l’explique Rodrigue Ngonzo, facilitateur de l’accord, « la société civile, le secteur privé, les populations locales, mais aussi plusieurs autres administrations n’ont pas toujours été étroitement associées à la prise de décisions concernant la gestion des forêts. Mais à présent, l’approche participative qui a soutenu les négociations depuis le début du processus FLEGT est inscrite dans le manuel de procédures du ministère des Eaux et Forêts (MINEF). Ainsi, les politiques, stratégies et textes juridiques relatifs à la gestion des forêts, de la faune et des ressources en eau sont adoptés après l’information, la consultation et la concertation avec les principales parties prenantes ».
Un nouveau régime de propriété des arbres
Le processus de révision du cadre juridique du secteur forestier a permis de mettre en évidence certaines lacunes, d’identifier des solutions et d’élaborer de nouvelles réglementations pour les intégrer dans le cadre juridique.
Une des problématiques abordées est celle de la propriété des arbres. Le modèle de gestion forestière qui prévalait avant le début des négociations de l’APV était fondé sur l’exclusivité de la propriété publique des ressources forestières, ce qui excluait les propriétaires terriens d’une rémunération associée à la valeur des arbres naturellement présents sur leurs terres. Cela avait pour effet de limiter fortement l’intérêt des agriculteurs pour le reboisement.
Aujourd’hui, le Code forestier reconnait aux villageois le droit de propriété des arbres présents sur les terres desquelles ils sont propriétaires – aussi selon le droit coutumier. Raphaël Kra, associé pays de l’ONG internationale ClientEarth en Côte d’Ivoire, explique que « le bénéfice est maintenant clairement spécifié dans la réglementation : les communautés sont propriétaires de leurs forêts, même si la terre ne leur appartient que de façon coutumière, la propriétaire coutumière étant reconnue par la loi. Cela leur permettra de commercialiser librement les arbres qui se trouvent sur leurs parcelles, mais en plus favorisera le reboisement, car ils auront maintenant un intérêt économique pour le faire ».
Un nombre des textes légaux sont encore en cours d’adoption, mais une fois finalisés, le nouveau régime de propriété permettra aux propriétaires de développer et de bénéficier de leurs ressources forestières à long terme, un véritable changement de paradigme pour le secteur forestier.
La clarification des procédures d’exportation

Le processus de révision du cadre juridique a aussi permis d’aborder des aspects de la réglementation qui n’étaient pas tout à fait clairs. La révision des procédures liées aux activités forestières constitue un bon exemple de comment les négociations de l’APV ont contribué à moderniser et améliorer la transparence du secteur.
Le Colonel Gnahoué Koudou Éliane, Cheffe d’Inspection des produits forestiers au Port autonome d’Abidjan et membre du Secrétariat Technique Permanent FLEGT, explique «aujourd’hui, nous avons des textes bien clairs sur la procédure d’exportation. L’opérateur sait quelle est la documentation qu’il doit fournir à l’administration forestière pour qu’on puisse valider son exportation ainsi que le circuit et les délais de traitement des dossiers, tandis qu’avant, il n’y avait pas une procédure écrite claire. Et ça, c’est vraiment un acquis lié au processus APV ».
La reconnaissance du rôle de la société civile
Un autre changement introduit dans le Code forestier est la reconnaissance du rôle d’observation indépendante de la société civile.
Youssouf Doumbia, président de l’Observatoire ivoirien pour la gestion durable des ressources naturelles (OI-REN), explique que « la mauvaise gouvernance fait partie des facteurs qui ont réduit le couvert forestier national. Pour éviter cela dans le futur, la société civile doit jouer un rôle de contrôle citoyen qui permet de dénoncer les irrégularités relatives à la gestion des ressources forestières, mais aussi de proposer des solutions et de mener les décideurs à corriger ces irrégularités. En ce sens, les négociations de l’APV ont contribué à la prise de dispositions juridiques concrètes pour instituer l’observation indépendante dans la gestion et la gouvernance forestières ».
Un climat d’affaires plus favorable
Les réformes légales impulsées dans le cadre des négociations de l’APV visent aussi à créer un climat des affaires plus favorable pour le secteur privé. Selon Gilles Gueu, secrétaire général du Syndicat des producteurs industriels du bois (SPIB), « le fait de réglementer l’activité permettra d’établir une concurrence loyale, car les entreprises seront toutes sur le même pied d’égalité. La réglementation permettra aussi aux opérateurs économiques de concurrencer à égalité sur les marchés nationaux en sachant que les opérateurs illicites seront exclus. »
De plus, et sans perdre de vue que l’APV est avant tout un accord commercial sur le bois, « la réglementation permettra aux industriels de valoriser leur produit à l’international, car l’autorisation FLEGT permettra aux produits ligneux ivoiriens de circuler librement sur le marché européen ».
Vers un meilleur futur des forêts ivoiriennes
Bien que des défis subsistent pour la réussite des objectifs de l’APV, la Côte d’Ivoire et l’UE collaborent étroitement pour assurer la pérennité de cet équilibre nécessaire entre toutes les parties prenantes pour garantir une meilleure gouvernance des ressources naturelles et de la reconstitution du couvert forestier ivoirien.
Comme l’explique Denisa Salkova, Point focal de l’UE pour l’APV FLEGT entre l’UE et la Côte d’Ivoire, « il est important que les décideurs politiques et les parties prenantes travaillent ensemble pour élaborer et mettre en œuvre des lois efficaces qui assurer un avenir durable pour le secteur forestier, une approche qui est facilitée par l’APV FLEGT. »
Original article published on FLEGT VPA Facility