Être femme en République centrafricaine (RCA) signifie être exposée depuis la naissance à une série de discriminations, inégalités et violations de droits. Les conflits armés ont vu les femmes affronter de nombreuses violences. Le contexte sécuritaire est encore très volatile et certaines normes et coutumes restent franchement défavorables aux femmes. Il y a cependant de l’espoir : le Fonds Bêkou soutient diverses initiatives d’autonomisation socio-économique qui aident des centaines de femmes à se relever.
Selon le rapport du « System de Gestion de l’information sur les violences basées sur le genre » (GBVIMS), 11 700 cas de violences basées sur le genre (VGB) ont été dénoncés au deuxième trimestre 2022, soit autant que sur l’ensemble de l’année 2021 et ce, alors que le chiffre de 2021 était déjà en augmentation de 25% par rapport à l’année précédente…
Ce chiffre est certainement très inférieur à la réalité car beaucoup de femmes n’osent pas déclarer les violences subies par peur d’être stigmatisées ou par crainte de l’impunité de leurs agresseurs.
La dernière enquête MICS6-RCA de 2019 révélait que 60% des femmes âgées de 20 à 24 ans ont été mariées avant l’âge de 18 ans ; que les mutilations génitales féminines touchent 21,6% des femmes entre 15-49 ans et que 80% des femmes ainsi que 84 % des hommes disent accepter la violence domestique. Des espaces se développent à travers la RCA pour accueillir les survivantes de VBG, les protéger et leur permettre de se relever des violences subies, ainsi que les appuyer dans leur autonomisation socio-économique.
Naomie et Annie*, deux jeunes filles de 17 ans, se sont connues récemment. Elles ont toutes les deux perdu leurs familles, il y a 10 ans, pendant le conflit armé. Depuis leur première rencontre dans un centre d’autonomisation socio-économique de la femme et de la fille (CASEF), ces deux amies se soutiennent mutuellement. Analphabètes et maltraitées par des membres de leurs familles qui ne voulaient pas qu’elles aillent à l’école, elles ont décidé de s’enfuir de leur ville pour rejoindre la capitale Bangui. Une fois par semaine, elles se réunissent avec d’autres filles de leur âge dans le CASEF.
Pour elles, c’est un espace sécurisé où elles peuvent parler de leurs soucis. Il y a toujours quelqu’un de disponible pour les écouter et les assistants sociaux leur prodiguent des conseils et une aide financière d’urgence pour couvrir leurs besoins en alimentation et hygiène. Cette aide leur permet de se sentir mieux et d’être plus autonomes. Annie est soulagée d’avoir trouvé un lieu qui lui donne de l’espoir pour son futur : « J’ai vu beaucoup d’atrocités, mais enfin je suis bien accueillie. Maintenant mon esprit est ouvert, j’ai appris beaucoup de choses et je me sens libérée de mes traumas. »
Annie rêve d’apprendre à lire et écrire et de devenir couturière ou coiffeuse ! C’est ce qui est arrivé à Céline, 53 ans, qui s’est vue confisquer ses champs et chasser de sa maison par ses beaux-parents à la mort de son mari, sur le prétexte qu’ils n’étaient pas mariés légalement. Grâce au CASEF, Yolande a pu suivre des cours d’alphabétisation.
Anna, 51 ans, a aussi bénéficié des formations dispensées par les CASEF. Cette maman de dix enfants, dont huit sont morts, a été maltraitée par son mari après avoir être violée par des membres des groupes armés alors qu’elle vendait ses marchandises au marché il y a trois ans. Yvette a tout perdu et a eu des graves problèmes de santé à la suite des multiples viols subis. Après avoir reçu l’assistance sanitaire de Médecins sans frontières, elle a décidé de participer à une formation sur le démarrage d’activités génératrices de revenus par le CASEF. Elle a commencé à acheter et vendre ses premières marchandises et, petit à petit, elle réussit à faire des économies.
Les activités génératrices de revenus (AGR) visent à améliorer les faibles capacités financières des survivantes des VGB, qui sont souvent en situation de dépendance économique par rapport à leur mari ou leur famille. « Nous fournissons un cadre sécurisé pour la prise en charge holistique des survivantes de VGB. Pour celles qui ne peuvent pas suivre une formation en AGR ou dont l’urgence de la situation ne permet d’attendre le prochain cours, un appui économique rapide (cash de 20 000 XAF) est proposé », explique Mannick Kongombe, chef de projet Genre III pour le compte de l’ONG International Rescue Committee (IRC).
Bien d’autres histoires comme celles de Naomie, Annie, Yolande et Anna démontrent que les CASEF sont des structures fondamentales pour les survivantes des VGB, leur offrant des perspectives nouvelles en les protégeant et en leur donnant les moyens de commencer à vivre de façon autonome.
Il existe actuellement deux CASEF et une Maison de l’espoir à Bangui. Ces structures étatiques sont cofinancées par le programme Genre III à travers le Fond Bêkou et offrent aux survivant.e.s de VGB une assistance psychosociale, juridique ou médicale, des formations et des cours d’alphabétisation (74% des femmes en RCA sont analphabètes) ainsi qu’un appui pour des activités génératrices de revenus (AGR).
Les CASEF ne sont qu’une activité parmi toutes celles du projet mis en œuvre par un consortium constitué par International Rescue Committee, Danish Refugee Council (DRC), Humanité et Inclusion (HI) et International Medical Corps (IMC) en collaboration avec les partenaires nationaux. Les activités du projet sont localisées à Bangui et ses environs, ainsi que dans les préfectures de l’Ouham (Bossangoa), de l’Ouham-Péndé (Bocaranga, Koui, Ngaoundaye et Bohong) et de la Ouaka (Bambari). Le projet propose une prise en charge holistique des survivants et survivantes de VBG et facilite leur réinsertion dans leurs communautés.
*Les prénoms des personnes dans ce reportage ont été changés pour protéger les victimes des violences basées sur le genre.